Quoi
qu'il
en soit, je suis bel et bien réveillé maintenant.
J'ai quelques courbatures,
mais tout va bien, je suis dans mon ... Oh, mon dieu ! La
grange, ce
grincement, cette saleté tout autour de moi. Et ce singe,
qui s'approche. Il
est accroché à une corde et il descend lentement
vers moi. C'est un petit singe
clair, avec d'énormes yeux noirs qui me fixent. Sur son
visage se dessine un
rictus, une grimace censée ressembler à un
sourire, un sourire plein de haine.
Il va m'attaquer, se jeter sur moi et me tuer, je peux le lire dans ses
yeux.
Suis-je
bête d'avoir peur ! Ce n'est que le rêve qui
continue, alors pas de crainte,
pas de panique. S'il m'attaque, je vais disparaître au
dernier moment pour me
retrouver dans le pays merveilleux d'Alice, ou un chasseur arrivera
soudainement pour le tuer. Ce chasseur sera une femme, nous tomberons
amoureux
et nous aurons plein d'enfants. Tout finira bien.
Là,
je crois que je panique ! Le singe est
vraiment proche et je ne me réveille toujours pas. Il ne me
reste plus qu'à fuir.
Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à me
lever, je ne suis pourtant pas
attaché, mais mon corps est lourd, je peux à
peine bouger la tête. Mais
qu'est-ce qu'il m'arrive ? Tout paraît tellement
réel.
Un
détail me
choquait chez ce singe, je n’étais pas certain,
mais il me semblait qu'il ne
tenait pas la corde, comme s'il était allongé
dessus, et qu'il se laissait
glisser. En fait, en regardant mieux, je m'aperçus que la
corde lui rentrait
dans le corps, dans son ventre maigre, elle rentre par la gauche et
ressort du
côté droit. C'est répugnant, on
devinait le sang séché tout le long de la
corde, la rendant certainement plus glissante. Le pauvre devait
souffrir.
Malgré
tout, je ne pus m'empêcher de rire, un rire
nerveux. La peur mais surtout l'absurdité de cette
scène. Bien qu'étant
persuadé d'être dans un rêve, tout ceci
me sembla bien réel. Surtout que
quelque chose au fond de moi m'avertit qu'un danger me
menaçait, que cette
histoire était loin d'être terminée.
2
Réfléchissons,
ne paniquons pas. Je suis dans l'avion en direction de New York pour
mon
mariage. J'ai eu une rude journée, longue et fatigante. Mon
seul désir, en
pénétrant dans cet avion, était de
pouvoir m'assoupir, de me détendre tout le
long de ce voyage. Je me suis donc endormi. Cette sensation
d'oppression
provient du fait que je n'ai pas détaché ma
ceinture, elle m'empêche donc de
bouger à mon aise. Voilà, tout peut s'expliquer.
Il suffit de rester calme et
de réfléchir un peu. Quant au lieu où
je me retrouve en ce moment, je laisse
l'explication à la magie du rêve, qui peut nous
emmener dans des lieux
extraordinaires. Ce grincement et ce ricanement incessants ne sont que
le fruit
de mon imagination.
Malgré
tout
mon raisonnement rassurant, le singe était maintenant debout
sur le sol, tout
près de moi. Je remarquai alors la présence d'un
grillage qui nous séparait,
lui et moi. Il ricanait de plus belle, un rire grinçant,
dans lequel on pouvait
ressentir la haine, le désir de tuer. Puis, alors que son
regard pénétrait le
mien, pénétrait toute mon âme, aussi
lentement qu'il était descendu, il
remonta. Une force mystérieuse l'entraînait
à nouveau vers le plafond de cette
grange, où l'on ne pouvait rien distinguer.
Je
compris que
j'étais passé près de la mort, que ce
n'était que partie remise. Ce n'était
qu'un simple avertissement, ce singe n'était que le messager
d'une force
maléfique qui tôt ou tard finirait par se montrer
et me détruire. Mon regard
balayait toute l'étendue de la grange. Mes yeux
s'étaient habitués à cette
pénombre ambiante. Je pus alors remarquer, près
de moi, une porte entrouverte,
en bois pourri. Je décidai de quitter ce lieu, d'aller voir
ce qui pouvait se
trouver de l'autre côté de cette porte,
peut-être la fin de ce rêve. Je
l'espérais
sincèrement, car il régnait ici une ambiance qui
ne me disait rien qui vaille.
Avec beaucoup d'efforts, je réussis à me lever.
Mes cuisses, mes mollets, mes
abdominaux me faisaient souffrir. J'avais du mal à garder
l'équilibre. Mes
jambes ne semblaient pas avoir la force de me porter. Très
lentement, dans la
mesure de mes possibilités, je me mis à avancer.
Il m'était impossible de me
tenir droit, mes muscles me tiraient de trop.
J’étais obligé de me courber afin
d'atténuer la douleur. Chaque pas nécessitait un
effort important, m'épuisait
littéralement. Je n'en pouvais plus. Je vis alors un
bâton, je devais le
prendre, sinon je n'y arriverais jamais. Tel un enfant, accroupi
à genoux,
j'avançais, ma concentration était
portée sur la douleur au niveau de mes
cuisses et sur ce bâton. Chaque pas faisait crier mes muscles
de révolte. Je
les entendais me maudire de les forcer à réaliser
un tel travail alors qu'ils
n'en avaient pas la possibilité. Je les priais de tenir bon
encore quelque
minutes, je m'approchais du but. Arrivé sur le
bâton, je pleurais de douleur et
de joie. Je m'allongeais à nouveau pour me reposer une
seconde, pour calmer les
muscles.
A
quoi
bon, autant ne pas perdre de temps.
Au moment
où je mis la main sur le bâton, celui-ci
me sembla mou et gluant. Il s'échappa. Ce n'était
qu'un serpent, un maudit
serpent. Je perdis alors connaissance.
3
J'étais
dans
un sommeil fragile, je sentais la sueur qui faisait coller mes
vêtements sur ma
peau. Je me sentais vraiment sale. Des images apparaissaient dans mon
cerveau.
Elles étaient floues, quelquefois nettes, mais ne restaient
que la durée d'un
flash, ne me permettant pas de les distinguer clairement. J'y voyais
des
enfants heureux qui couraient dans un pré, avec un chien
blanc à leur côté.
Puis l'image d'une femme, d'une beauté inouïe, un
sourire radieux sur les
lèvres. Toute cette joie était quelquefois
interrompue par des images dans
lesquelles on apercevait des gens inquiets, seuls. Et à
nouveau des images
d'une montagne, d'un lac au moment d'un coucher de soleil. Deux
êtres qui
s'aimaient dans ce paysage fantastique.
Je
ressentais
la sensation étrange d'être un spectateur de
moi-même. Je me rendais compte que
j'étais en train de rêver. Je distinguais
nettement les différentes phases de
mon sommeil. Je me voyais allongé sur une paillasse, dans
une pièce éclairée
seulement par la lumière du jour provenant d'une
très petite fenêtre. Je voyais
que j'essayais vainement de sortir de ce rêve. Un
rêve qui m'enveloppait, comme
si j'étais dans un drap, très serré
autour de moi, qui me laissait à peine la
place de faire de petits mouvements. Je voulais déchirer ce
drap, mais il était
bien trop résistant. Je pus alors remarquer un moment de
trêve, mon âme
s'agitait moins, elle s'était calmée, et je pus
voir défiler les images d'un
nouveau rêve, comme un film que l'on va voir au
cinéma, la différence était
qu'il n'y avait qu'un seul spectateur: moi. La séance
était une projection
spéciale qui retraçait la vie d'un jeune homme.
Une vie qu'il ne connaissait
pas encore.
Ce
film
commençait par le mariage de ce jeune homme. La
cérémonie se déroulait à
New
York. Ce jeune homme, c'était moi. Je reconnaissais ma
future femme, ou plutôt
ma femme car la cérémonie venait de se terminer.
Nous étions dehors main dans
la main, nos amis et parents chantaient notre bonheur. Je pus vivre
ainsi toute
la soirée de nos noces. Je vécus
également le voyage de noces qui était
prévu
en Inde. Je vis les enfants que nous aurions, mon ascension en tant que
président dans l'entreprise où je
n'étais que simple cadre. Puis plus rien, le
vide. Le film s’arrêta là, sur une
scène dans laquelle je rentrais chez moi. Je
pus voir un spasme tout le long de mon corps, et je me
réveillai complètement.
4
Combien
de
temps s’était écoulé depuis
mon évanouissement ? Je ne le savais pas. Il me
fallut un certain temps pour remettre les idées en place.
Où étais-je ? Dans
l'avion ? Non, dans cette pièce
dépravée. Je me souvins alors de cette
paillasse que j'avais pu voir lors de mon délire, de ce
rêve étrange. Je
reconnu cette fenêtre, un rayon de soleil
pénétrait dans la pièce,
éclairant un
tapis sali par la boue. Une table en bois, deux chaises en mauvais
état, un
fourneau qui servait certainement à chauffer la
pièce et à cuisiner, une
armoire et ce lit constituaient le mobilier de cette pièce.
Sur la table était
posée une assiette, un verre et une cuillère. On
voyait crépiter le feu dans le
fourneau, sur lequel reposait une marmite. Malgré ma peur,
je ne pus m'empêcher
de ressentir un creux dans l'estomac, depuis combien de temps
n'avais-je pas
mangé? Pourquoi donc n'y avait-il personne dans cette
pièce ? Peut-être
vaudrait-il mieux ne pas la rencontrer.
Quelle
sensation étrange je ressentais. Lorsque je voulais bouger
mon bras, j'avais
l'impression qu'entre le moment où je décidais de
le bouger et le moment où
l'action se déroulait, un certain temps, assez long, se
passait. Et mon bras se
levait effectivement, mais avec une lenteur, comme si tout
était ralenti.
J'avais l'impression de ne plus être réellement
maître de mon corps. Dans cette
pièce régnait un certain silence, je ne percevais
aucun bruit, même pas celui
du feu.
Ce
n'est pas normal. De toute façon, rien n'est normal, je ne
devrais même pas
être ici, dans ce lieu étrange. Je devrais
être dans cet avion, en train de
boire un café, en train de penser à ma future
épouse, ou de regarder un film
sur le mini écran. Je devrais voir cet enfant aveugle qui
est à mes côtés, et
son chien dormir à ses pieds. Voilà où
je devrais être, nulle part ailleurs.
Est-ce qu'il y a quelqu'un, laissez-moi sortir, laissez-moi bouger. Je
ne peux
même plus crier, j'ai beau ouvrir la bouche, rien ne sort,
aucun son. Je ne
peux que penser, me plaindre, et encore, il n'y a que moi pour
m'entendre. Je
n'en peux plus. Que vais-je devenir ? La seule alternative qu'il me
reste pour
l'instant est d'attendre que quelqu'un, qui que ce soit, veuille bien
venir. Il
doit y avoir une personne qui m'a porté de cette grange
jusqu'ici, une personne
qui ait allumé ce feu et qui ait
préparé cette table. Je me fais vraiment peur,
je raisonne comme si j'étais dans la
réalité, or il ne faut pas oublier que ce
n'est qu'un REVE, un simple cauchemar je dirais même. Ce qui
veux dire que je
peux m'envoler, les bûches peuvent marcher et aller droit
dans le fourneau. De
même, la marmite a cuisiné elle même le
bouillon. Ensuite, une chaise viendra
me chercher pour m'installer à table, et la
cuillère me servira la soupe.
N'est-il pas beau ce petit monde bien à moi, je devrais en
jouir pleinement. Et
non, je suis là à me lamenter, à
délirer, à me poser toutes sortes de questions
qui n'ont ni queue ni tête. Ah Ah Ah ! C'est
vraiment trop drôle toute
cette histoire. Bon, assez rigolé, je dois
réagir, je ne dois pas rester comme
un légume, rêve ou pas rêve, j'ai faim.
Je vais donc me lever et reprendre des
forces.
J’essayais
alors de me lever, mes membres étaient engourdis, cela
devait vraiment faire un
certain temps que j’étais allongé. Je
pus néanmoins bouger. Je réussis à me
redresser dans le lit. Mes bras tremblant me maintenaient assis. Je
sentais
toujours une très légère douleur, mais
rien de comparable à celle subie dans la
grange. Puis, je pus mettre mes jambes hors du lit. C’est
alors que je
remarquai quelque chose. Je ne pus pas dire quoi. Etait-ce sur le
mur ?
Non, on ne dirait pas. Ca semblait immobile, petit et noir. Je fixais
cette
chose. Peut-être était-ce une tache. Je
réussi à me mettre debout lentement,
très lentement. En fait, je ne ressentais plus tellement la
douleur. C’était
une autre sensation. J’étais lourd, comme si
l’espace lui-même était lourd,
dense, ralentissant ainsi les mouvements. Un peu la même
impression que lorsque
l’on est dans l’eau, sauf que dans mon cas, il
n’y avait pas la moindre goutte
d’eau, et que c’était plus dense encore.
Je pu m’approcher de cette tache. Je
me rendis compte qu’elle n’était pas sur
le mur. C’était une tache dans la
pièce, près de la fenêtre. Je tournais
autour d’elle. Il s’agissait d’un trait,
d’un point dessiné dans l’espace. Un
trait incliné, un point juste à
côté.
Ma
curiosité
était à son comble. Bien entendu, je voulus la
toucher, mais mes doigts
rencontrèrent uniquement du vide. Il n’y avait
physiquement rien du tout. En m’approchant
de plus près, je pus constater une très
légère vibration, à peine perceptible.
C’était vraiment incroyable, jamais de ma vie je
n’avais vu une telle chose.
J’étais attiré par cette tache, par le
doute qu’elle laissait en moi. J’en
avais oublié ma faim. Tout à coup, elle se mit
à se gonfler et à se dégonfler
régulièrement. Je pensai à un coeur
qui bat, tel qu’on peut le voir dans
certains reportages de médecine. Puis la tâche
disparut. Je regardai autour de
moi, mais ne l’aperçus nul part. Elle
s’était volatilisée. Je restais
sceptique, et déçu. Je ne comprenais pas pourquoi
cette déception.
Ce
n’était qu’une illusion, un tour de mon
cerveau très fatigué. Une extravagance
typique des rêves. Je vais manger un peu. Ca ira mieux
ensuite.
Je
m’en allai
vers la marmite, la pris, étrangement, elle
n’était
ni lourde ni légère. Elle
n’avait aucun poids. Je soulevai le couvercle afin de
vérifier qu’elle n’était
pas vide. Elle était remplie de soupe. Une soupe sans
couleur
particulière.
Malgré mes craintes, je décidai de la manger. Si
je
devais mourir empoisonné,
je mourrais, après tout ce n’était
qu’un
rêve. Tout le temps, je ne cessais de
me remettre en tête que ce que je vivais à ce
moment
n’était qu’un rêve.
L’idée
que tout ceci put être la réalité me
faisait trop
peur, c’est pourquoi, je me
persuadais et me réconfortais comme je le pouvais. Je
m’installai alors à
table, remplis l’assiette de soupe. Et me mis à la
manger.
Après deux cuillerées,
je constatai qu’elle n’avait aucun goût.
C’était une soupe sans couleur, sans
goût. Quelle tristesse ! Cette réflexion
me permit de
prendre conscience
d’un autre fait. Depuis que je m’étais
réveillé, j’avais remarqué
cette
lourdeur de l’espace, mais un autre détail
n’allait
pas. Une sensation de vide,
de mort, un manque. Quelque chose sonnait faux dans cette
pièce.
Je sus quel
était ce point: il n’y avait aucun bruit. Lorsque
je remis
le couvercle sur la marmite,
je n’entendis pas un son. De même, quand je
m’étais levé du lit, je
n’avais pas
entendu le froissement des draps sur mon passage. Je ne percevais pas
non plus
le bruit de la cuillère dans l’assiette. Rien. Je
n’entendais rien, aucun son.
Non,
j’ai tord. J’ai entendu une chose
depuis mon réveil dans cette maison: la tache.
Lorsqu’elle s’est mise à
gonfler, on entendait un battement, assez faible, mais il
était là, je m’en
souviens très bien maintenant. Une illusion visuelle et
sonore
peut-être ?
5
Ma
curiosité
me poussa alors à regarder ce qu’il pouvait bien
avoir de l’autre côté de cette
fenêtre. Je m’avançais
jusqu’à celle-ci, m’appuyai sur le
rebord, et observai.
Il
me fallu
un certain temps pour réagir. Je reconnus la grange. Son
aspect avait néanmoins
changé. Elle était
éclairée. Des spots très lumineux
éclairaient la maison,
dans laquelle je me trouvais. C’est pourquoi, je ne pus rien
voir tout d’abord.
Je pus remarquer la présence d’autres maisons,
assez éloignées de la mienne.
Cette grange était décidément
très grande. Puis, mon coeur se mit à battre
très
rapidement, devant moi, derrière la grille, se promenaient
des ombres, des
êtres vivants, ils me semblaient assez petits, mais
qu’importe, ce sont des
êtres qui vont pouvoir m’éclairer,
m’expliquer.
Dans
l’énervement, en voulant sortir de cette
pièce, je me cognai à la table, et
renversai l’assiette de soupe que je n’avais pas
fini. Tout fut par terre, mais
ça m’était égal. Je ne
remarquai même plus ce silence, ni la présence de
plusieurs taches dans la pièce. Tout ce que je voyais,
c’était ces
personnes, la liberté. Tout ce que je désirais
était que ce rêve cesse une fois
pour toutes. Je pensais sincèrement au fond de
moi-même que ces personnes
seraient la solution à ce cauchemar.
La
porte
s’ouvrit sans aucune difficulté. Lorsque je fus
dehors, je fus surpris par le
changement d’air, par ces grincements, ces cris
hystériques. Et mes courbatures
revinrent. Mes muscles recommençaient à me faire
mal. Je regardais autour de
moi, et je vis que l’on pouvait observer
l’intérieur de la maison dans laquelle
j’étais. De nombreux petits écrans le
long du mur extérieur montraient des
images de la pièce. Je compris que la tache dans la
pièce était en fait une
caméra chargée de me surveiller. En effet, il y
en avait tout autour de moi, et
sur ces écrans je pouvais me voir. J’eus
très peur, je me mis à trembler de
tout mon corps. Le spectacle dont je fus alors le témoin, me
donna des nausées,
je ne pus me retenir. Devant moi, à
côté de la maison, il y avait un autre
écran, beaucoup plus grand que les
précédents, sur lequel passait un film. Je
reconnus immédiatement ce film. Il s’agissait de
moi en tant qu’adolescent. Je
venais de recevoir mon diplôme, mes parents et ma petite amie
étaient présents
et m’applaudissaient. Sur cet écran, repassait ma
vie, ma vie entière dans ses
moindres détails.
Je
m’avançais
malgré les douleurs jusqu’au grillage, je voulais
voir une pancarte qui était
accrochée dessus, je voulais m’assurer qu'elle
porterait un message du
genre : Quelle bonne blague, vous avez
été filmé par toute
l’équipe de
Channel 6. Je pleurais de rire. Quelle bonne blague quand
même ! Jamais je
n’avais autant rigolé. Je réussis
à prendre la pancarte. Je la lus, et je crus
que c’était la fin. A travers mes larmes, je pus
lire:
« Venez
tous, venez tous voir la vie passée de Mr X.
Séance spéciale à 88
décades : son avenir. Venez voir en
exclusivité ce que lui n’a encore
jamais vu. Venez voir ce bonheur qu’il ne connaîtra
jamais. Vous pourrez
observer Mr X de vos propres yeux, il sera présent, dans
cette cage, devant
vous. »
Je
n’en
revenais pas. Ces êtres m’avaient volé
ma vie, mon passé, mon avenir.
Des
singes
ressemblants à celui que j’avais pu voir lors de
mon premier réveil
s’approchaient en criant. Ils entrèrent dans ma
cage. Ils étaient accrochés
entre eux par des cordes qui leur rentraient dans leur ventre. Ils me
prirent,
me frappèrent, et me remirent dans la maison. Ils semblaient
très énervés. Ils
nettoyèrent le sol, remplirent la marmite de ce
qu’il avaient pu nettoyer, et
me firent comprendre qu’il ne fallait pas que cela se
reproduise, je devais
rester calme, très calme.
6
Cela
fait
très longtemps que je suis là,
enfermé, observé de ces singes, de ces monstres.
Tous les jours je revois mon passé et mon avenir. Au
début, je m'intéressais
plus particulièrement à une scène, la
scène de l’avion dans lequel je rentrais
après une rude journée de travail pour rejoindre
ma future épouse, que je ne
revis jamais, à part dans ce film maudit de ma vie. Je
disparus tout
simplement, personne ne m’avait vu monter, ni descendre. Je
n’avais jamais existé
pour personne, et pourtant j’avais un passé, un
avenir. Je n’étais qu’un acteur
pour ces singes, ma vie n’était qu’un
film. Et je restais là, éternellement,
à
me rassurer en me disant que tout ceci n’était
qu’un rêve.
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