POURQUOI
J'AI UNE OMBRE ?
Voilà
ce que me demande ma fille ce matin: «
Pourquoi j'ai une ombre ? »
Passée
la seconde de surprise, je lui répond : «
Ton
ombre est une preuve que tu existes à la lumière.
Si tu n'as pas d'ombre, c'est que tu n'existe pas.
»
En
fait, cette question résonne beaucoup en moi,
car, comme
par hazard (?), je suis en train de lire le livre de Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur,
dans lequel il traite, entre autre, de la mémoire, des
souvenirs, et dans ce cas particulier du récit de soi, de
son
histoire.
Lorsque
je parle de moi, ou lorsque j'entre en communication avec quelqu'un,
seule une partie de moi est exprimée: la partie la plus
transparente, la plus socialement acceptable - selon les normes et
conventions de ma culture - Je me fais aimée uniquement par
(et
pour) la partie la plus aimable de moi. En faisant ceci, je tais la
partie la plus douloureuse, je mets à l'écart
tout un pan
de ma personnalité.
En
mettant à jour toute mon histoire, aussi bien la partie la
plus
acceptable et la plus ignoble - ce que je peux considérer
comme
mon ombre - je redeviens entière, je ne suis plus
coupée
d'une partie de moi-même. Je demande alors à
l'autre de me
regarder et de m'aimer telle que je suis. En ce faisant, je me regarde
et m'aime telle que je suis.
Cela
me demande d'accepter toute cette partie d'ombre en moi, de la regarder
en face, ce qui est très difficile, car en
général
je suis dans le jugement et je considère que cette partie
est le
pire de tout, est inacceptable. Le poids du passé, la
loyauté envers sa famille peut également faire en
sorte
qu'il est préférable, voir obligatoire de nier
cette
partie d'ombre.
J'ai
envie d'aller plus loin, en disant que, comme je l'ai
répondu
à ma fille, si tu n'as pas d'ombre, c'est que tu n'existe
pas.
Si je peux me voir, c'est que je suis éclairée
par une
lumière. Je remarque que je suis matière, on peut
me
toucher. Or, l'ombre, qui est toujours présente lorsque je
suis
éclairée (illuminée ?) n'est pas
palpable, elle
est un peu comme une illusion. Elle est toujours présente,
preuve de mon existence physique, elle me suit toujours, mais au fond,
elle n'est pas, ce n'est qu'une espèce d'image.
En gros, qu'est-ce que je mets sur le dos de cette ombre ? Des
évenements passés difficiles ? Des
défauts ? Des
parties de ma personnalité qui me font peur ? etc ?
Alors, peut-être qu'en considérant cette partie
d'ombre en
moi comme image ou illusion, il devient plus facile de s'accepter
entièrement ? En tout cas, il me semble important de
regarder
avec beaucoup d'amour toute cette partie, car, en
quelque sorte, elle
me rappelle à tout moment que le réel,
c'est pas
ça. Le réel, c'est mon être qui est
éclairé, illuminé. Le réel,
c'est ce que je
vis dans le moment présent.
La
relation à l'autre ne peut s'en trouver que changer, car les
rapports deviennent alors entiers, honnêtes. Je peux alors
être en empathie avec l'autre, car, de même je
pourrais le
regarder tel qu'il est avec toute sa part d'ombre et de
lumière.