MANIPULATION
Regardons
un peu la notion de manipulation. Pas dans le sens où je me
fais
manipuler par les autres. Non. Plutôt lorsque c'est moi qui
manipule l'autre. Lorsque je rentre dans ce jeu de manipulation avec
l'autre, que m'empèche-t'elle de faire, que m'apporte-t'elle
comme bénéfices secondaires ?
Elle
m'empêche d'avoir des rapports honnêtes avec les
autres (et
avec moi-même !). Tous les contacts avec autrui sont
basés
sur le fait de jouer entre mentir et dire la
vérité. De
ce fait, il est impossible à l'autre de savoir quoi
entendre,
comprendre de ce que je lui dis. Il ne sait pas quoi prendre pour
argent comptant.
La
manipulation est un beau jeu de théatre, dans lequel se joue
constamment un jeu entre différents personnages. Le but
étant de perdre l'autre, de le tromper. Il ne faut surtout
pas
qu'il sache qui est l'acteur véritable, qui je suis
véritablement. Je dois toujours être
caché,
déguisé. Ce déguisement est toujours
sous mon
contrôle. J'ai gagné lorsque l'autre - le
spectateur - ne
voit plus que le déguisement, qu'il en oublie
complètement que je puisse être autre chose que ce
que je
montre.
Le
top du top est lorsque j'arrive à savoir quelle
pièce
aurait envie de voir l'autre, quel est le déguisement qu'il
aurait envie d'avoir en face de lui. Lorsque je parviens à
sentir cela, à me déguiser en
conséquence,
à jouer ce rôle-là, lorsque l'autre est
complètement berné, touché par le
personnage que
je joue, alors je peux être satisfait de moi (satisfait dans
le
sens orgueil !).
J'ai
réussi à tromper l'autre par mes mots, mes gestes.
Voilà
comment je ressens la manipulation: un jeu pour tromper l'autre, pour
le mener en bateau, pour qu'il ne voit que ce que je veux lui montrer
et rien d'autre, surtout rien d'autre.
Le
problème commence quand je ne sais plus moi-même
qui je
suis. Quand je me perds dans mes rôles. En fait, je me leurre
constamment moi-même ! Je ne me rends même plus
compte des
personnages que j'incarne, que je joue. Si je joue un personnage plus
qu'un autre, je peux m'identifier complètement à
lui
jusqu'à en perdre ma propre identité.
Ceci
peut durer longtemps, très longtemps, toute une vie parfois.
Sauf, si je commence à en prendre
conscience :
- Par la rencontre de gens (encore plus ?) manipulateurs que moi, et
que, bien entendu, je ne supporte pas !
- Ou par la rencontre de gens qui n'entrent pas dans mon jeu, qui ne se
font pas berner, donc, qui voient qui je suis réellement et
non
pas que le déguisement. Ces gens-là sont encore
plus
insupportables que les précédents !!!
Il
est quand même important de comprendre que si le but est de
berner l'autre, il y a une raison encore plus profonde qui pourrait
être de se protéger de l'autre. Si je
considère
qu'il peut représenter une menace, la seule façon
de s'en
protéger étant de ne pas se montrer.
Je
parlais également de bénéfices
secondaires.
Quelles pouraient être ces bénéfices
secondaires ?
... Finalement, ça me procure beaucoup de "plaisir", quand
je
joue bien le jeu: l'autre s'intéresse enfin à
moi. A ce
moment-là, j'ai des choses à raconter. De plus,
je sens
que quelque chose en moi vibre un peu plus: j'ai touché
l'autre,
je l'ai ému par mon jeu. Dans le meilleur des cas, il peut
même m'apporter ce que je recherche
déséspérément (cela peut
être de
l'amour, de l'attention, de la considération, du respect
etc...). D'une certaine manière,
ça me donne l'impression d'exister. Avec d'autres, c'est un
malin plaisir que j'éprouve, plus machiavélique.
Je l'ai
eu, j'ai été plus fort que lui, il a
été
plus faible que moi. C'est un peu comme une vengeance, une revanche
plutôt.
Vous
allez me trouver bien glauque (c'est la lune noire aujourd'hui, le
meilleur moment pour voir un peu sa partie noire en soi !!!). Mais ne
vous inquiétez pas, aujourd'hui, justement, je
l'écris,
je témoigne, je ne le vis pas avec d'autres. En quelque
sorte,
je me branche dans les moments où je suis le plus mal, et
où, justement je rentre dans mon jeu de manipulation, et
j'essaye simplement de comprendre les motivations profondes, ce qui se
cache derrière, la peur qui me "manipule" ! Car,
aujourd'hui, je
m'en rends bien compte, c'est lorsque je suis dans le creux de la vague
que je me mets à manipuler à gogo !
Et
la force, la qualité qui se cache derrière tout
ça ?
J'ai
l'impression qu'il y a de l'empathie,
dans le sens où je sens ce qu'attends l'autre (lorsque je
sens
quel personnage il a envie d'avoir en face de lui). A
vérifier
s'il s'agit bien d'empathie ?
Peut-être
aussi une capacité de guidance:
je ne manipule plus l'autre pour le tromper, ou pour le mettre dans ma
poche, mais pour le guider. Car, au fond, il y a de fortes "chances"
que lui aussi se soit un peu perdu dans ses propres
déguisements, qu'il ne voit plus qui il est
réellement.
Ainsi, si j'ai pu avoir la force de le tromper par mes mots, c'est
qu'il existe en moi une partie qui sait persuader l'autre
grâce
aux mots que j'emploie ou aux gestes que j'utilise.
Si
j'ouvre mon coeur et le laisse me guider, il me semble que cette force
de persuasion
peut agir de façon merveilleuse pour trouver les mots que
l'autre aura besoin d'entendre pour se sortir de ses peurs, de ses
déguisements, masques, manteaux, systèmes de
croyances
...
Et
surtout, étant moi-même une grande manipulatrice,
j'ai un
don formidable pour flairer les manipulateurs autour de moi
à
100 km ! Sachant la souffrance et la beauté qu'il y a
derrière, je saurais regarder tous ces manipulateurs avec
beaucoup d'amour, sans aucun jugement. Je pense que c'est à
ce
moment là que je pourrai voir l'autre tel qu'il est
réellement, et c'est à ce moment là
que lui aussi
pourra se voir autrement que comme un manipulateur.
C'est
aussi simple que ça la vie.